J.O. 302 du 31 décembre 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 19 décembre 2003 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2003-488 DC


NOR : CSCL0307028X




LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2003


Monsieur le président du Conseil constitutionnel, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, nous avons l'honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi de finances rectificative pour 2003 telle qu'adoptée par le Parlement.

A l'appui de cette saisine, nous développons les motifs suivants concernant le non-respect du principe de sincérité et à l'encontre des articles 20 et 97 du projet de loi.


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I. - Sur l'absence de sincérité budgétaire


La loi de finances rectificative pour 2003 présente l'exécution de la loi initiale sur une période de plus de onze mois. Elle contient à ce titre l'ensemble des mouvements de crédits et les évolutions de recettes, ainsi que leurs effets sur le déficit du budget de l'Etat.

Elle vient valider a posteriori les arguments présentés par les députés socialistes dans leur recours au Conseil constitutionnel sur la loi initiale déposé le 19 décembre 2002.

Elle fait apparaître une exécution pour le moins mouvementée, à la hauteur de l'insincérité de la loi initiale.

C'est peu dire que l'article 32 de la loi organique relative aux lois de finances sur l'exigence de sincérité budgétaire, que le Conseil constitutionnel a encadré dans sa décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002, en précisant que si au cours de l'exercice « les grandes lignes de la loi de finances initiale s'écartaient sensiblement des prévisions, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative », a été malmené.

En l'occurrence, le projet de loi de finances rectificative pour 2003 ne saurait en aucun cas être considéré comme la réponse à la décision du Conseil constitutionnel rappelée ci-dessus. Il s'agit en effet du traditionnel collectif budgétaire de fin d'année, et en aucune façon d'un projet de loi permettant de corriger l'écart entre les prévisions et l'exécution en ce qui concerne les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.

La loi de finances rectificative fixe le niveau du déficit budgétaire à 54,1 milliards d'euros soit une dégradation de 9,5 milliards par rapport à la loi initiale. Elle enregistre de même une chute des recettes fiscales de 7,5 milliards d'euros et des recettes non fiscales de 2 milliards d'euros. Cet écart important, qui représente un accroissement du déficit initial de plus de 21 %, a pu être constaté tout au long de l'année.

Cette situation constatée dans le collectif budgétaire de fin d'année ne résulte pas d'un événement conjoncturel intervenu en cours d'exécution. Elle est directement la conséquence des choix budgétaires et fiscaux du Gouvernement et de son intention manifeste de fausser les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.

Dès le premier trimestre de l'année 2003, la Commission européenne a souhaité que la France corrige la situation de dérive de ses finances publiques. Tout au long de l'année, la France a ainsi été sous la menace d'une sanction de l'Union européenne.

Le 25 octobre 2003, une forme de sursis à la mise en demeure de la Commission européenne a été accordée à la France, mais il n'en reste pas moins que notre pays connaît en 2003 un niveau de ses déficits publics de 4 % du PIB. Ce mauvais résultat a été obtenu malgré les annulations successives de crédits pour un montant total de 3,37 milliards d'euros tout au long de l'année.

Il faut rappeler que d'une part le Gouvernement s'est écarté en toute connaissance de cause des prévisions unanimes des conjoncturistes publics et privés élaborées au mois de septembre 2002 et d'autre part que les annulations sont à un niveau comparable à la mise en réserve de crédits réalisée par le Gouvernement dès les premières semaines de l'exercice.

Le Gouvernement a revu à la baisse tardivement les hypothèses de croissance, alors que régulièrement sous le double effet de l'environnement international et de la politique économique budgétaire menée, il apparaissait que la croissance ralentissait fortement dans notre pays.

Il s'est ainsi conformé timidement aux prévisions concordantes des conjoncturistes publics et privés formulées en septembre 2002 au moment de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2003. Cette révision ne l'a cependant pas conduit à reconnaître que la dérive des finances publiques était telle que les grandes lignes de l'équilibre budgétaire étaient faussées.

Elle traduit cependant un manquement au principe de sincérité, dans la mesure où, le Gouvernement a reconnu ainsi qu'il n'a pas procédé à une évaluation de « bonne foi » des charges et des recettes de l'Etat.


Pour illustrer ce manquement manifeste, le Conseil constitutionnel pourra notamment se référer à l'explication de vote du groupe UDF de l'Assemblée nationale : « L'évolution de l'équilibre du budget général de 2003 marque une aggravation du déficit, due à de moindres recettes fiscales et à l'hypothèse de croissance irréaliste qu'avait retenue le Gouvernement. » (Compte rendu analytique de la deuxième séance du 18 décembre 2003.)

L'exigence issue du respect des règles de sincérité budgétaire aurait dû le conduire à présenter en cours d'année un projet de loi de finances rectificative, conformément à l'invitation forte formulée l'an dernier par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2002-464 DC.

Le contrôle de sincérité, s'il ne peut s'appliquer a posteriori sur la loi de finances initiale, mérite, à tout le moins, de s'exercer dans le cadre d'un projet de loi de finances rectificative de fin d'année, qui valide à ce point les manquements du Gouvernement et ses intentions manifestes de fausser jusqu'au dernier moment les grandes lignes de l'équilibre budgétaire.


II. - Sur l'article 20


L'article 20, introduit par un amendement adopté par l'Assemblée nationale, instaure une contribution visant à l'élimination des déchets résultant de la distribution gratuite d'imprimés non nominatifs.

Cette contribution est due par les personnes ou organismes qui produisent ou font produire des imprimés non nominatifs distribués gratuitement aux particuliers. Elle doit ainsi permettre la collecte, la valorisation et l'élimination des déchets résultant de l'abandon des imprimés.

Cette disposition reprend les principales dispositions, et plus généralement l'esprit, de l'article censuré l'an dernier par le Conseil constitutionnel dans la décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002 sur la loi de finances pour 2003.

Elle ne remédie pas à la rupture d'égalité dénoncée l'an dernier aux termes de laquelle, en excluant un grand nombre d'imprimés susceptibles d'accroître le volume des déchets, le législateur avait institué une différence de traitement sans rapport direct avec l'objectif qu'il s'était assigné de protection de l'environnement.

Au regard de l'objectif recherché, la collecte, la valorisation et l'élimination des déchets, il est nécessaire de considérer le volume des déchets et non la liste ou la qualité de ceux qui les produisent. Pourtant, c'est ce que prévoit l'article 20 pour déterminer les redevables de la contribution.

Par ailleurs, le critère tient compte de la gratuité de l'imprimé et non de sa nature. Ainsi, se trouveraient exclues de la contribution des publications usant de papiers difficilement recyclables, lorsque des publications de la presse gratuite, distribuée dans les conditions prévues par l'article 20, verraient ainsi augmenter leur coût de production dans des proportions de nature à réduire leur activité.

Les journaux gratuits se trouvent ainsi pénalisés, et à travers eux un lectorat qui n'a pas l'habitude ou pas les moyens de lire des journaux payants.

Les publications gratuites non adressées qui correspondent à un besoin important, notamment les journaux d'information municipale, seraient également pénalisées dans des proportions fortes. L'exemption prévue pour une publication inférieure à 5 000 tonnes par an n'est pas suffisante dans le cadre urbain.

L'article 20 fait finalement une différence entre les publications d'information générale et les autres, renforçant ainsi la rupture d'égalité. Seraient exonérées de la contribution des publications en fonction de leur contenu, sans que ne soit tenu compte des efforts en matière de collecte de valorisation et d'élimination des déchets. Il s'agit d'une distinction arbitraire sans rapport avec l'objet de la loi.

Finalement, le législateur est resté en deçà de sa compétence en n'apportant aucune précision sur l'autorité qui déterminera la nature du versement, ni les conditions de la distinction. Il appartient au législateur de fixer au moins les objectifs en fonction desquels cette distinction peut être opérée.

Pour toutes ces raisons, l'article 20 ne peut qu'être censuré.


III. - Sur l'article 97


L'article 97 réforme l'aide médicale d'Etat, droit ouvert, sous condition de ressources, aux personnes de nationalité étrangère résidant en France sans titre de séjour, mais aussi aux Français et aux étrangers en situation régulière résidant en France depuis moins de trois mois, ainsi qu'à leurs personnes à charge.

L'aide médicale d'Etat permet la prise en charge des dépenses de santé de ces personnes qui ne peuvent pas bénéficier de la couverture maladie universelle.

Le I de cet article instaure un délai de résidence continue préalable de trois mois sur le territoire français pour les personnes souhaitant obtenir le bénéfice de l'aide médicale d'Etat.

Le II modifie la procédure d'admission immédiate à l'aide médicale d'Etat prévue à l'article L. 252-3 du code de l'action sociale et des familles, afin que, selon l'exposé des motifs de l'article critiqué, l'attribution de l'aide médicale soit ainsi soustraite « de la pression de l'urgence ».

Au total est ainsi distinguée l'aide médicale d'Etat, soumise à instruction administrative, et le traitement des soins urgents et les interventions médicales ou chirurgicales urgentes dont le financement sera assuré par l'Etat, dans le cadre d'une dotation spécifique à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.

Le II de cet article supprime également le bénéfice de l'admission immédiate à l'aide médicale d'Etat pour les personnes dont la situation l'exige.

Cet article méconnaît à la fois les exigences du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 aux termes desquelles la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé » et porte atteinte au principe d'égalité.

Il constitue une limitation du droit à la santé, qui en réduit la portée, pourtant constitutionnellement définie.


En premier lieu, la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel relative au principe d'égalité dans le domaine du droit à la santé traduit la volonté d'un contrôle allant d'une réserve d'interprétation stricte à la censure.

Ainsi dans la décision no 2003-471 DC du 12 décembre 2002, la mise en place du tarif forfaitaire de responsabilité a été assortie d'une réserve d'interprétation forte, invitant notamment le pouvoir réglementaire à fixer le tarif en question de telle sorte que ne soient pas créées entre les assurés sociaux des différences selon qu'ils aient la possibilité ou non de se voir délivrer un médicament générique.

De même, la décision no 89-269 DC du 22 janvier 1990 a censuré l'article relatif à l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité considérant que l'exclusion du bénéfice de l'allocation des étrangers résidant régulièrement en France, dès lors qu'ils ne peuvent se prévaloir d'engagements internationaux ou de règlements pris sur leur fondement, méconnaît le principe d'égalité.

Cette jurisprudence est à la hauteur de l'indispensable défense d'un droit social fondamental, dont le Conseil constitutionnel a toujours voulu ainsi protéger l'exercice pour les personnes présentes sur le territoire français.

En l'occurrence, l'article critiqué, s'il ne propose pas de supprimer stricto sensu, l'aide médicale d'Etat, introduit des conditions telles qu'elles conduisent à réduire, voire interdire, son accès effectif.

Le respect de la condition prévue au I de l'article de preuve d'une résidence ininterrompue depuis plus de trois mois sur le territoire français pourrait paraître simplement cocasse pour des personnes en situation irrégulière, s'il ne s'agissait pas de leur interdire l'accès aux soins.

Le caractère inopérant de cette disposition est flagrant. Comment demander à des personnes ne résidant pas d'une manière stable et régulière sur le territoire français, qui pour la plupart ne dispose pas de titre de séjour, de justifier d'une résidence d'une manière ininterrompue depuis plus de trois mois ?

Il y a fort à parier que les personnes concernées soient dans l'obligation pour se soigner de présenter des documents souvent impossibles à fournir au regard de leur situation.

En admettant qu'une personne en situation irrégulière puisse justifier d'une telle durée de séjour, alors qu'il peut s'agir dans de nombreux cas de personnes sans domicile fixe, il apparaît que la durée de trois mois joue comme un couperet, générateur d'inégalités.

Ce délai, par nature, exclut du bénéfice de l'aide médicale d'Etat une personne présente de façon régulière depuis seulement 89 jours, alors qu'en bénéficierait une personne présente de façon régulière depuis 92 jours. Cette différence de traitement ne peut que conduire à des inégalités qui sont d'autant plus choquantes qu'il s'agit de respecter le droit à la santé pourtant constitutionnellement garanti.

Le parallèle avec la couverture maladie universelle, qui prévoit pour tous les résidents sur le territoire français la prise en charge des soins par un régime d'assurance maladie et pour ceux dont les ressources sont les plus faibles le droit à une protection complémentaire et à la dispense d'avance de frais, n'est pas pertinent sur la question de la durée de résidence.

L'existence d'un délai d'instruction de trois mois des dossiers pour les demandeurs de la couverture maladie universelle, auquel se réfère le Gouvernement dans l'exposé des motifs de l'article , ne fait pas obstacle à l'attribution, dès le dépôt de la demande, si la situation de la personne l'exige, du bénéfice de la protection complémentaire. Le délai d'instruction ne saurait être confondu avec un délai de résidence.

On peut noter par ailleurs le parallélisme qui existe également entre la durée d'admission à l'aide médicale d'Etat, d'une part, et la durée d'admission à la couverture maladie universelle complémentaire, d'autre part, fixées de façon identique à un an.

En revanche, le II de l'article critiqué, en supprimant l'admission immédiate des personnes au bénéfice de l'aide médicale d'Etat, crée une rupture d'égalité entre des personnes présentes sur le territoire français d'autant plus forte qu'elle revient, pour certaines d'entre elles, à l'impossibilité d'exercer leur droit fondamental à la santé.

En second lieu, l'article critiqué revient à limiter le champ de l'exercice du droit à la santé, de telle sorte qu'est complètement négligé l'objectif de santé publique.

En opérant une distinction entre les soins urgents dont l'absence entraînerait le décès de la personne, ou à tout le moins, une altération grave et durable de sa santé, d'une part, et tous les autres soins et interventions médicales ou chirurgicales d'autre part, l'article ignore la nécessité de prendre en charge sur le plan médical toutes les pathologies courantes.

Cette restriction du droit à la santé aura un impact négatif en termes de santé publique, élément pourtant indissociable de ce droit.

S'il existe un lien fort entre le droit à la protection sociale et le droit à la santé, celui-ci ne peut conduire à l'amoindrissement de la protection de la santé. C'est pourtant ce qu'entraînera inévitablement l'article critiqué.

Les personnes concernées seront prises en charge tardivement pour des pathologies ne nécessitant pas des soins urgents car le pronostic vital ne serait pas en cause. Ce retard pourra obliger la mise en oeuvre de soins plus complexes et plus coûteux, au point que l'objet de la loi en sera totalement détourné. Il constitue également un risque de développement d'épidémies, faute de dépistage suffisant.

Si l'intention du Gouvernement est de réaliser des économies budgétaires, l'article critiqué, en retardant l'accès aux soins de nombreuses personnes, pourrait s'avérer en réalité être source de dépenses supplémentaires.

L'obsession de la lutte contre la fraude pousse le Gouvernement à mettre en place un dispositif négligeant finalement la santé publique, qui a pourtant tout à gagner à la mise en place de soins le plus précocement possible.

Au total, le coût pour la collectivité nationale en sera plus élevé, au mépris par ailleurs de l'équilibre financier de la sécurité sociale, qui constitue, pour reprendre les termes de la décision no 2002-463 DC du 12 décembre 2002, « un objectif de valeur constitutionnelle ».

Pour tous ces griefs, la censure de l'article 97 est inévitable.

Nous vous prions de croire, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Conseil constitutionnel, à l'expression de notre haute considération.

(Liste des signataires : voir la décision no 2003-488 DC.)